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O4

Ripeur une fois par an

Luc - 3 mars 2043

Une fois par an, c’est mon tour. Je deviens ripeur pour quelques heures. Pourtant mon métier n’a rien à voir, les autres jours je suis boucher. Avec l’instauration du temps communautaire hebdomadaire, on s’est dit que ce serait pas mal de se répartir les tâches les plus rébarbatives et qui sont pourtant essentielles pour maintenir un bon vivre-ensemble. Donc plutôt que d’avoir des professionnels de la collecte des ordures, un métier qui, entre nous, n’était ni socialement ni financièrement valorisant et surtout avec des risques importants pour la santé, on a trouvé qu’il était préférable de faire disparaître ce travail pour de bon. Tant qu’à faire quelque chose de désagréable, autant le faire le moins souvent possible.

Tous les ans, durant la grande foire des quartiers, toutes les personnes aptes et volontaires à la collecte sont enregistrées et chacun reçoit son jour de collecte. Chaque groupe de collecte est composé d’un chauffeur et de deux ripeurs (exactement comme avant) à la différence près que le gros camion bruyant a été remplacé par le son des sabots des chevaux qui tractent un chariot de stockage dans lequel on jette et on trie les déchets. En fonction de la densité de population, il peut y avoir une ou plusieurs équipes. Mais au final on ne s’en sort pas si mal car dans la grande majorité des cas, une ou deux journées maximum par personne suffit pour faire le boulot pour toute une année. J’ai même entendu dire que dans d’autres villes, le rythme est encore plus tranquille. Les personnes n’y vont qu’une fois tous les deux ou trois ans.

Bon, on ne va pas se mentir, au début, tout le monde n’était pas forcément partant. L’idée de mettre ses doigts dans les poubelles des autres, c’est bien mais moins quand on doit le faire soi-même. Moi le premier. Surtout quand on a connu le monde d’avant. Avec ses poubelles pleines à craquer de tout et n’importe quoi. Aujourd’hui tout est bien différent.

Déjà, l’interdiction de la grande majorité des emballages dans les points de vente a largement réduit la quantité de déchets que l’on pouvait produire, et plus encore la baisse globale de la consommation. Si tu achètes moins de merdes, forcément t’as moins de trucs à jeter. Le développement des stations de compostage individuelles ou de quartier, ont fait que tous les déchets putrescibles, ceux qui coulent et qui puent, n’ont plus besoin d’être traités par la collecte des ordures. Au final, on ramasse surtout du recyclable. Donc du carton, du papier, du verre de consigne, quelques produits électroniques...bref ce genre de choses. Le plastique ayant quasiment disparu des poubelles. Certes c’était très pratique mais, franchement, ça posait plus de problèmes que d’avantages.

Et puis il y a la question financière aussi. Si la ville avec l’aide des habitants gère elle-même les déchets, plus besoin de payer des entreprises pour le faire et donc ça fait moins de charges pour tout le monde. Ce qui n’est jamais négligeable. Bien sûr on paie toujours un peu, notamment pour l’entretien du matériel et des chevaux mais c’est toujours moins cher que de payer une boite qui en plus des salaires de tout le monde et de l’entretien du matériel va se prendre une petite marge au passage. C’est la taxe sur les poubelles. Elle peut sembler un peu complexe au premier abord mais en réalité c’est assez simple. Chacun paie à la quantité de déchets qu’il met sur le réseau.

Cependant ce montant est variable. Il y a une base fixe, qui prend en compte les charges de base. Ce fixe est ensuite adapté, les déchets les plus compliqués à gérer comme le plastique ou l’électronique ajoutent un surcoût, là où les déchets consignés ou recyclables réduisent le coût total. Au final, la plupart des gens finissent par ne presque rien payer.

Un autre avantage, c’est que quand tu ramasses les poubelles, tu prends conscience de la quantité de choses que tu jettes et ça, ça aide à consommer moins et mieux. C’est d’ailleurs un des facteurs qui a poussé certains à réduire leurs achats ou en tout cas à mieux cibler ce qu’ils achetaient.